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Article 75 de la Constitution : un véritable coup d’épée dans l’eau

iciLome

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Face aux réactions suscitées par le nouvel article 75 dans la Constitution « re-toilettée » le 8 mai 2019, j’avais relativisé en soulignant que cela ne concernait pas la période allant de 2005 à mai 2019, même si l’on interprétait la constitution selon les gymnastiques cérébrales d’Abdou Assouma.

L’article 75 est inutile pour une deuxième raison : l’Amérique latine.

Vers la fin des années 80, les dictateurs de l’Amérique latine, notamment les chefs de juntes militaires, avaient eux-aussi pensé à des retraites paisibles pour eux et leurs hommes de main. Cela s’est fait d’abord par la mise en place des parlements aux ordres des juntes militaires ; ces parlements à leur tour ont voté des Constitutions taillées sur mesure, garantissant une immunité à vie, et/ou un poste de sénateur à vie pour les anciens dictateurs aux mains souillées du sang de leurs compatriotes. En Argentine et au Chili par exemple, la loi offrait même l’immunité aux officiers de l’armée qui avaient obéi aux « ordres dont ils ignoraient l’illégalité ».

Cette comédie de très mauvais goût a failli réussir, mais a fini par faire pschitt. Comment ?

Eh bien lorsqu’une constitution stipule dans son préambule que la nation est fondée sur la primauté du droit et que les droits individuels sont inaliénables, c’est que la raison d’État (ici la loi d’amnistie) devient secondaire, qu’elle soit énoncée directement ou en annexe dans la même constitution. Cela signifie qu’au nom du principe de la primauté du droit, les besoins de justice des victimes d’abus et de violations des droits humains priment sur toutes les garanties données aux dictateurs pour assurer leur départ.

En Amérique latine, une fois les dictateurs partis, leurs successeurs élus n’ont pas remis leur immunité en question. Mais les citoyens l’ont fait avec brio. Et ont réussi à faire tomber les anciens dictateurs et chefs d’États dans les mailles de la justice, invoquant la primauté du droit des personnes. Car au nom de ce principe énoncé dans les préambules ou dans les tous premiers articles des constitutions de ces pays, tout le monde est redevable de la violation des lois existantes, ce qui n’exclut pas les chefs d’État.

Avec le temps, la justice des pays d’Amérique latine s’étant affranchie des pressions politiques, c’est devant cette justice indépendante que les citoyens victimes des actes des dictateurs ont attaqué les clauses concernant l’immunité des anciens chefs d’État. Et les juges, par une interprétation très astucieuse des lois nationales et des traités internationaux, leur ont donné raison, ce qui a conduit à la levée de l’immunité de ces anciens chefs d’État, à leur arrestation, à leur jugement et à leur emprisonnement pour des crimes qu’ils ont commis lorsqu’ils étaient en fonction.

Dans les pays où la justice a été lente à réagir, les victimes qui ont acquis des nationalités européennes ou avaient la double nationalité au moment des faits ont saisi la justice dans leurs pays d’accueil, forçant par exemple l’Argentine à extrader près de 40 officiers de l’armée dans ces pays, bien que ces officiers aient bénéficié des lois d’amnistie dites « Point Final » ou « Devoir d’obéissance ».

En 2002, face au projet de « toilettage » de la constitution envisagé par le parlement, le président de l’institution, le sieur Natchaba Fambare avait déclaré que ce que l’homme fait, c’est l’homme qui le défait ; la constitution de 1992 « faite » par l’opposition étant injuste à leurs yeux, c’est normal de « défaire » cette constitution. Natchaba avait raison hier, il a raison aujourd’hui et il aura éternellement raison sur ce point, car c’est un principe universel. C’est au nom de ce principe que l’article 75 sera défait.

Pas forcément par une autre assemblée revancharde, mais par des citoyens pour qui la primauté du droit et des garanties qu’il offre aux victimes de crime sont au-dessus de la quiétude des anciens chefs d’État. La raison d’État n’est pas un droit fondamental ; le droit à la justice en est un, et ce droit prévaudra. Comme disait

Fiat justicia, et pereat mundus !


A. Ben Yaya
New York, 24 mai 2019
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L'AUTEUR
A. Ben Yaya
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