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Economie et Finances
Nigéria

Croissance économique et protectionnisme au Nigéria : Le citoyen d’abord ?

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Le protectionnisme économique du Nigéria, démarré le 20 août 2019, a surpris plusieurs observateurs et partisans de l’intégration régionale. Pourtant, chacun sait que dans la pratique, les tracasseries aux frontières au sein de la Communauté économique et de développement de Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) sont légions. Mais la contrebande institutionnalisée a fini aussi par enrichir de corrupteurs et des corrompus d’Afrique et hors d’Afrique. Face à un Président nigérian déterminé à réduire la corruption dans son pays, il devient possible de voir une certaine cohérence dans le contrôle et les limitations de la contrebande et des fraudes divers. Cette économie informelle et souterraine a pris tellement d’ampleur qu’elle menace l’économie réelle.

Aussi, le temps est venu pour négocier l’intégration régionale non plus avec des grands slogans, mais à partir de chaque produit ou service offert par le citoyen de la zone CEDEAO. La conséquence sur le terrain du fonctionnement actuel des échanges entre le Nigeria et ses pays frontaliers, c’est la pauvreté, les inégalités et l’insécurité qui n’arrivent pas véritablement à se résorber.

1. AUGMENTATION DE LA PAUVRETÉ ET DES INÉGALITÉS AU NIGERIA
Il y aurait plus de 170 millions de pauvres au Nigéria, ce répartis de inégalement sur les 36 Etats de cet Etat fédéral. Le niveau de pauvreté au moment des indépendances était faible. Depuis, 59 ans après, le Nigeria fait partie des pays où le niveau de pauvreté est le plus élevé dans le monde, et les inégalités et la corruption y sont pour quelque chose. La région du sud-ouest avec 19,3 % de pauvres contraste avec la région du nord-ouest avec ses 81,1 % de pauvres 1. L’Etat de Lagos avec 8,5 % de pauvres semble avoir trouvé le mode de gouvernance qui crée suffisamment de richesses. En comparaison, l’Etat de Sokoto avec 85,3 % de pauvres ou celui de Zamfara avec 91,9 % de pauvres témoignent du paradoxe et des tensions sous-jacentes pour l’unité du pays.

En réalité, près de 87 millions de Nigérians ont été enregistré comme vivant en dessous du seuil de pauvreté de 1,90 $EU par jour, soit 693,5 N (Naira) par jour.

Le problème est que le nombre de pauvres et d’extrêmes pauvres augmente. Selon le World Data Lab de Vienne en Autriche qui produit les statistiques mondiales sur la pauvreté, plus de 91,16 millions de Nigérians vivaient maintenant avec moins d’un dollar par jour en 2019 2. Selon le Brooking Institute de Washington, la trajectoire du nombre de pauvres au Nigeria avec 194 millions d’habitants est en hausse constante passant d’environ 78 millions de personnes en 2016 à près de 100 millions de pauvres en 2022. En comparaison, l’Inde avec ses 1 324 millions d’habitants devrait passer de 124 millions de pauvres en 2016 à moins de 12 millions en 2022 3. Il n’y a pas photo. Il y a un problème de gouvernance économique et social au Nigéria.

2. CROISSANCE DU BUDGET FÉDÉRAL DU NIGERIA GRÂCE À LA TVA
C’est à la lumière de cette réalité qu’il faut s’interroger sur la corrélation entre l’augmentation du budget de l’Etat fédéral et la croissance économique du pays.

Le budget 2020 du Nigeria adopté par le parlement fédéral est en hausse, passant de 8.900 milliards de nairas en 2019 à 10.330 milliards de nairas (N)m soit une hausse de 7 %. Excessivement dépendant des hydrocarbures et plus particulièrement du pétrole, le pays est sensible à la volatilité des prix des matières premières.

Personne n’arrive véritablement à savoir s’il y a eu une réduction effective des dépenses de l’Etat assortie d’une meilleure effectivité des services de l’Etat nigérian, mais il faut bien constater une hausse de 7 % des recettes publiques dans le budget 2020. L’essentiel de cette hausse va peser invariablement sur tous les citoyens nigérians puisqu’elle repose sur la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) qui a augmentée unilatéralement, passant de 5 % à 7,5 %. C’est un frein à la consommation des ménages. En effet, la taxe sur la valeur ajoutée est un impôt indirect général directement inclus dans les prix de vente de biens ou de prestations de services et payé par les consommateurs. Qu’ils soient riches ou pauvres, la taxe est la même, sauf quand il y a de dérogations. Donc, le Nigeria gagnerait à intégrer plus d’équité et de redistribution dans sa politique fiscale envers la partie la plus vulnérable de sa population. Sinon, la TVA fonctionne actuellement comme une mini-subvention à la classe moyenne et à la classe riche.

Cette inégalité entre les citoyens nigérians est perverse. La TVA touche plus durement la grande majorité de la population, notamment celle classée parmi les pauvres. Rappelons pour mémoire qu’un citoyen nigérian pauvre est définit ici comme celui qui gagne moins de 5,50 $EU par jour. Le paradoxe est que les recettes inscrites au budget du Nigeria pour 2020 augmentent aussi vite que le nombre de pauvres, près de 7 % par an. Les pauvres sont-ils en définitive les bouc-émissaires au Nigeria ? La réponse est partiellement oui !

En termes de contribution, près de 50 % des Nigérians pauvres ne peuvent et ne contribuent pas à l’impôt sur le revenu. Mais ils doivent subir la TVA. Alors, chacun comprend que le secteur informel devient la seule échappatoire. Au final, c’est donc bien les opportunités pour les populations pauvres de sortir de leur pauvreté qui ne sont pas proposées. Face à un problème mal défini, les réponses à apporter peuvent s’avérer être contreproductives et même devenir un problème en soi. C’est donc bien un problème de gouvernance économique, d’inégalités et d’injustice sociales qui expliqueraient cette situation.

3. NIGERIA : LA CROISSANCE ÉCONOMIQUE EN LÉGÈRE AUGMENTATION
Le Nigeria revient de loin. En effet, la moyenne de sa croissance économique entre 2010-2015 était de 5,8 %. Celle-ci a chuté à -1,6 en 2016 pour remonter graduellement entre 2017 et 2018, puis à 2,3 % en 2019 avec des estimations à 2,5 % en 2020. Il n’y a donc pas de léthargie.

Le Fond monétaire a revu à la baisse la croissance mondiale qui se situerait autour de 2,6 %. Le Nigeria est donc en dessous de la moyenne mondiale.

Il a été constaté une amélioration modérée des exportations et de la demande intérieure. Mais l’imprévisibilité du prix des matières premières dont dépend le Nigeria notamment le pétrole brut pourrait, s’il venait à chuter, remettre en cause cette remontée.

Dans le cadre d’une importante partie du budget qui est consacré à la sécurité et la paix, le défi reste important. Mais le Président Buhari du Nigéria est à féliciter pour sa stratégie de lutte contre la corruption.

Les recettes provenant du secteur pétrolier constituent 32,4 % du budget 2020, soit 2640 milliards de nairas alors que les revenus provenant du secteur non-pétroliers sont estimés à 22,2 % soit 1.810 milliards de nairas. Les autres recettes 45,4 % soit 3.700 milliards de nairas témoignent de la nécessité à améliorer la productivité des secteurs hors hydrocarbures. Aussi, si la lutte anti-corruption peut permettre d’améliorer les recettes de l’Etat, encore faut-il clarifier les affectations de ces recettes. Car privilégier uniquement la création de richesses par les ultra-riches du pays n’est pas une tenable sur le long terme.

Avec un déficit budgétaire faible 1,52 % de la richesse nationale prévue en 2020, le Nigeria devrait pouvoir grâce à quelques emprunts et une politique de privatisation tenir ses objectifs. La réalité est que le poids de l’énergie, notamment le prix élevé du pétrole raffiné devrait connaître une baisse dès que le secteur privé, notamment les nouvelles raffineries de pétrole du secteur privé notamment du milliardaire Mr. Aliko Dangote, seront en opération d’ici 2021/22, à condition que le prix de ce pétrole raffiné reste compétitif et abordable pour les populations. Cela devrait permettre à l’Etat de mettre fin à une politique structurelle de subvention de l’énergie qui reste malgré tout relativement bas par rapport aux pays francophones en Afrique.

4. UN PROTECTIONNISME QUI CACHE UNE FAIBLE COMPÉTITIVITÉ INDUSTRIELLE DU NIGÉRIA
Autrement dit, l’amélioration de la croissance économique dans ce pays rappelle que le Président Buhari commence à récolter les fruits de sa détermination à réduire et éradiquer la corruption à tous les niveaux et à réussir à récupérer une partie des fonds détournés et à les réinjecter dans l’économie. Les effets ne sont pas aussi visibles pour le Nigérian lambda. Aussi, une politique « choc » comme la fermeture ou le contrôle strict des frontières avec les pays voisins devraient améliorer la popularité du Président auprès de ces concitoyens qui subissent les contrecoups de la contrebande et des pratiques déloyales. Mais, le niveau d’industrialisation du Nigeria reste faible. Avec à peine 8 % de contribution de la valeur ajoutée manufacturière à la richesse nationale (PIB) en 2018 4. Le Nigeria n’a que très modérément progressé car en 2010, cette VAM était de 7 %. Bref, la modification structurelle de l’économie nigériane passera par l’industrialisation et moins par le protectionnisme non négocié. En filigrane, c’est la faible compétitivité du secteur industriel nigérian qui pose problème. C’est cela qu’il fallait discuter en interne au lieu de se persuader qu’en s’attaquant uniquement à la concurrence déloyale, la fraude et la contrebande bien réelles, le problème industriel se résorbera de lui-même.

Le retour brutal au protectionnisme avec la fermeture des frontières avec les pays voisins et la volonté de mieux contrôler de manière stricte la frontière avec le Bénin ont permis de mettre en lumière la concurrence déloyale que subit le Nigeria du fait des importations en provenance de la zone Euro et plus particulièrement de la zone Franc CFA, mais aussi la zone Yuan/Renminbi de la Chine. En effet, l’exemple du poulet et autres produits congelés provenant de l’Union européenne est emblématique et se déverse au Nigeria grâce à des intermédiaires indélicats des pays voisins, détruisant ainsi toutes les chances de construction de la chaine de valeurs avicoles et même le développement de l’agro-industrie. Ceci est valable aussi pour les produits en provenance d’Asie, avec entre autres les tracteurs chinois assemblés au Bénin et vendus sur le marché nigérian. Le Nigeria produit des véhicules tous terrains de type quatre roues motrices, dites les 4 x 4. Il va de soi que les véhicules accidentés importées en masse de l’Union européenne en Euro vers le Bénin en zone Franc CFA et remis en état ou vendus en pièces détachés finissent souvent, en contrebande au Nigeria. Il ne faut pas croire que des produits ne rentrent pas aussi à partir du Nigéria en contrebande. C’est donc dans le cadre d’une renégociation produit par produit entre les pays voisins du Nigeria qu’une solution pourra être trouvée pour retrouver la trajectoire de l’intégration régionale. En attendant, la fermeture des frontières a été prolongée jusqu’à la fin de l’année, sous réserves de discussions bilatérales avec les pays frontaliers francophones avec le Nigeria.

Le protectionnisme que promeut actuellement le Président nigérian a aussi pour but de favoriser la transformation locale. La protection passagère de la production locale nigériane conduit à une amélioration de la balance commerciale et de la balance de paiement tout en stoppant la contrebande.

5. UN MANQUE À GAGNER POUR LA TRANSFORMATION LOCALE : INDUSTRIALISATION NÉGLIGÉE
L’objectif de croissance économique de 2,3 % peut donc être atteint avec une stratégie de diversification de l’économie et une concentration sur le développement du marché intérieur. Les populations nigérianes seront amenées à consommer nigérian soutenant ainsi les industriels. Cela crée non seulement de la valeur ajoutée mais aussi des emplois décents. La réduction substantielle du déficit de la balance commerciale s’en ressortira. Toutefois, il faudra investir dans l’amélioration de la performance logistique et dans les infrastructures de communication (route, air, train et télécommunication) et améliorer encore l’environnement des affaires.

Les secteurs les plus prometteurs doivent être des secteurs de transformation notamment le secteurs industriels et manufacturiers, mais les services financiers vont connaître des avancées notamment par la digitalisation de ce secteur et l’accès aux populations exclues ou marginalisées. Bien sûr, les secteurs de l’énergie et de l’agriculture sont à la base d’une contrebande et d’une concurrence déloyale. C’est ce que le Nigeria tente de contrôler ou limiter, notamment en provenance de la zone franc. Les pays voisins qui eux-aussi ont oublié d’organiser leur secteur manufacturier commencent à payer pour les stratégies erronées en matière de transformation et développement des capacités productives. En effet, il y a une exportation des pays francophones comme le Bénin et le Togo vers le Nigéria. Mais pourquoi ces pays n’ont pas pensé à développer plus avant leur capacité à transformer ces tomates et se libérer ainsi du risque de la pénurie en saison creuse et surtout d’organiser la pénurie.

Aujourd’hui toutes les tomates pourries dans les camions du fait de la fermeture des frontières avec le Nigeria n’auraient pas connu un tel sort. Anticiper et soutenir le secteur privé actif dans la transformation des produits locaux en zone francophone a été considéré comme un « interdit », ce d’autant que la convertibilité automatique du Franc CFA en Euro et vis-versa a fait de ces pays francophones du Nigeria, des arrières pays de transit des produits excédentaires des pays utilisant l’Euro comme devise. Le Nigéria réagit !

Alors, que chacun des Etats en profite pour faire le point, car en filigrane, c’est la « mort » des accords de partenariats économiques régionaux et le renouveau de partenariats bilatéraux. A ce petit jeu, les pays ne disposant pas d’un large marché et d’un secteur privé dynamique risquent d’être les perdants. Les populations pauvres de ces pays, les premiers boucs-émissaires des conséquences d’une absence de politiques industrielle par le passé. L’industrialisation négligée se paye cash !

6. PRODUIRE LOCAL, CONSOMMER LOCAL ET SI POSSIBLE BIO
Le Nigeria ne raffine qu’une partie très faible de son pétrole et importe du pétrole raffiné. Aussi, dès la mise en opération des raffineries notamment avec le milliardaire Mr. Aliko Dangote, la baisse des importations de produits raffinées pourra se traduire par l’enrichissement du groupe panafricain Dangote mais aussi par une baisse significative de l’endettement de l’Etat du fait des importations de produits raffinés ou des produits manufacturiers. Si l’énergie devient encore moins chère, c’est tout le système productif du Nigéria qui devrait connaître une envolée, avec des créations d’emplois décents à la clé. Alors s’il fallait passer par la fermeture, espérons temporaire des frontières en zone CEDEAO, le Président Buhari n’a pas hésité. L’objectif affiché est malgré tout de produire local et consommer local.

Le Nigeria a compris qu’il faut produire local et consommer local, si possible bio, avec des équipements fabriqués ou assemblés localement par les locaux. C’est le cas dans la chaine de valeurs de l’igname, le manioc, la patate douce et la banane plantain avec la farine de manioc et autres dérivés, le gari et ses dérivées par exemple utilisés à 70 % dans l’alimentation locale. En définitive, le Nigeria pourra atteindre les 2,3 % de croissance en 2020 et même au-delà si le prix du pétrole et de certaines matières premières ne chute pas, et si la capacité productive de ce pays augmente sa création de valeurs ajoutées et d’emplois. Mais est-ce vraiment le citoyen nigérian qui va profiter de protectionnisme ? La politique du ruissellement de richesses créées peine à devenir une réalité face à l’augmentation des populations pauvres, impuissantes devant les inégalités croissantes. YEA.

26 octobre 2019.

Dr. Yves Ekoué AMAÏZO, Ph D, MBA.

Directeur Afrocentricity Think Tank

© Afrocentricity Think Tank.

http://cvu-togo-diaspora.org
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