Depuis la journée du 4 mai 2020 où le corps ensanglanté et sans vie du Colonel Madjoulba fut découvert dans son bureau au camp qu’il dirigeait, chacun sur les réseaux sociaux surtout, va de son analyse, de son commentaire. Depuis ce jour, Faure Gnassingbé, Chef de l’État et Chef des Armées, Abalo Kadanga, Chef d’État-Major Général, sont invisibles; alors que, d’après leurs titres ils sont les deux premiers responsables de l’armée togolaise. Et puisque la victime de l’assassinat est un haut gradé de l’armée et que le crime a eu lieu dans un camp militaire, il serait normal et même obligatoire que les deux premières personnalités à la tête de la grande muette prennent la parole dès les premières heures de l’annonce du drame, pour tout d’abord présenter leurs condoléances à la famille éplorée, donner les premières explications sur les circonstances de la mort violente de l’officier supérieur et promettre de déployer tous les efforts pour que la vérité sur le crime soit connue.
Au lieu de cela, nous assistons tous les jours à la propagation des rumeurs dont raffolent les Togolais qui sont habitués depuis des décennies à la culture de l’opacité de la part de leurs dirigeants. Dans un pays où les médias d’État ne se cachent plus pour montrer leur affiliation au régime de dictature, donc pour taire l’information qui pourrait faire mal et mettre en difficulté les auto-proclamées autorités du pays; dans un tel pays comme le Togo, tout le monde s’improvise journaliste et croit être le meilleur connaisseur. Dans un tel pays, avec surtout le développement anarchique des réseaux sociaux, où on ne sait plus qui est qui, même le dernier idiot du quartier peut balancer de fausses informations qui pourraient faire douter même les esprits éclairés.
Ce silence de la part des deux premiers responsables de l’armée, ajouté à la précipitation qui a consisté en la nomination, le lendemain du drame, du successeur du Colonel Madjoulba, dont la dépouille charcutée s’est à peine refroidie, a ajouté à la colère et à l’indignation des Togolais qui peinent encore à comprendre cette sauvagerie avec laquelle un officier supérieur fut assassiné dans l’un des camps les plus sécurisés du pays. Le mutisme des média d’État et du site officiel du gouvernement sur le sujet, l’absence en public et le silence de Faure Gnassingbé et de Abalo Kadanga s’apparentent à du mépris pour la victime, et à du manque de respect à sa mémoire. La mise sur pied de cette commission d’enquête dont le caractère partisan et non-indépendant de tous les membres n’est plus à démontrer, ressemble plutôt à une fuite en avant des autorités togolaises, à une humiliation de la mémoire de l’officier décédé et de sa famille. Et comme en Afrique nous sommes plus liés à nos origines ethniques et tribales, les populations de la région d’origine du feu Colonel Madjoulba sont à juste titre sorties massivement pour exprimer leur amertume due à la disparition brutale d’un des leurs. Dans leur colère, ils s’en sont pris physiquement au Préfet et à son Secrétaire Général qui avaient dû prendre la fuite avant de revenir.
Dans la déclaration lue par les manifestants, un ultimatum est donné au préfet qui est sommé de satisfaire dans 24 heures leurs doléances qui consistent en la remise de la dépouille pour être inhumée selon les règles coutumières, et en la démission du successeur de Madjoulba pour le temps des obsèques. Sincèrement entre nous, est-ce que le préfet de Doufelgou a le pouvoir de donner suite à de telles doléances? Il s’agit d’un problème militaire, presque politique sur lequel les premiers responsables du pays et de l’armée ne sont pas pas exprimés. Que peut un pauvre préfet? Il ne peut ni appeler l’État-Major, ni la Présidence pour demander les informations dont la foule de Doufelgou a besoin. S’il s’agissait d’une manifestation purement politique, on pourrait comprendre qu’on s’en prenne au représentant du pouvoir central dans la localité. Mais connaissant la nature militaire du régime qui nous régente, tout le monde, à commencer par les militaires, les officiers eux-mêmes, a peur et n’ose pas aborder le sujet. Alors pour nous, le Préfet de Doufelgou est un bouc émissaire mal choisi.
Et nous nous demandons pourquoi les cadres et autres ressortissants de Doufelgou à Lomé gardent ce silence et laissent nos frères et nos soeurs au village faire le sale boulot? Ils sont nombreux dans l’administration, dans la presse écrite ou audio-visuelle, dans l’enseignement et dans l’armée. Pourquoi ne peuvent-ils pas mettre de côté la peur et s’organiser de telle sorte que leurs compatriotes d’autres communautés les rejoignent pour une marche pacifique sur l’État-Major ou la Présidence pour demander à Faure Gnassingbé et à Abalo Kadanga de leur expliquer les circonstances de la mort du Colonel Madjoulba et exiger que le ou les assassins soient connus et châtiés par la loi?
Samari Tchadjobo 12 mai 2020 Allemagne -
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